Conférence de Mohamed Larbi HAOUAT
Dernière mise à jour : 28 déc. 2022

Dîner - débat du FERAM Autour du livre sur Bourguiba
Par Mohamed Larbi HAOUAT,
Vice-président de l’AFAL & d’ADIFLOR
Président Fondateur d’ASILEC
Représentant de l’AFAL aux ONG-UNESCO
Lieu : Mairie du cinquième arrondissement de Paris
Le 14 octobre 2022 à 18h00
Mesdames, Messieurs,
C’est un grand plaisir, pour moi, de vous présenter mon livre sur Habib Bourguiba 1903-2000 paru en 2020. Il a été inscrit dans le cadre d’un ambitieux projet culturel initié par deux institutions prestigieuses de renommée internationale, le Prix du Roi Fayçal d’Arabie Saoudite et l’Institut du Monde Arabe à Paris, représenté par la Chaire de l’IMA : cent et un livres.
Tout d’abord je présente tous mes remerciements aux deux institutions culturelles qui ont permis cette publication ainsi qu’au FERAM et la Mairie du cinquième pour la tenue de cette rencontre ce soir. Un grand merci au président de l’AFAL M. Jacques Godfrain qui a pris la relève de notre regretté M. Xavier Deniau, fondateur de l’AFAL qui m’a passé le virus de l’amour pour la Francophonie.
Je remercie infiniment Mme Josseline Bruchet, ma collègue à l’AFAL et ADIFLOR pour avoir aimablement accepter la relecture de l’épreuve. Et, merci à vous toutes et tous de nous avoir honorer par votre présence.
Au préalable une question s’est posée avec persistance : Pourquoi vous avez choisi de traiter ce sujet ? Bourguiba est du passé… fini ! J’ai répondu que Bourguiba restera un repère pour la Tunisie d’avenir.
Face aux dérives médiatiques mettant en cause la personne et l’œuvre du Président Habib BOURGUIBA, proposant sa traduction devant la justice et la déformation de l’histoire nationale. Ce procès posthume intenté contre le fondateur de la Tunisie moderne engendre une polémique houleuse…
Un vieil adage disait : « C’est dans la nuit la plus obscure, que nous avons besoin de la lune ! » C’est pourquoi, j’ai choisi de traiter ce sujet, sans jugement de valeur pour contribuer à une meilleure compréhension. L’objectif que je m’étais assigné c’est avant tout, une réconciliation nationale pour l’intérêt général.
Prendre du recul par un regard distancié, sur la vie de Bourguiba est nécessaire pour permettre une vision globale plus objective et plus juste sur son parcours politique. Ce qui nous aide à se débarrasser des stéréotypes pour entreprendre une revalorisation d’un homme de mérite : « Que ce symbole-là ne soit pas brisé, que cette image-là perpétuée, voilà une nécessité vitale non seulement pour nous, mais aussi pour les générations futures, pour la Tunisie en somme ! »
En dépit des diverses circonstances, tout homme est forcément, une combinaison de zones d’ombres et de lumières. Il est impossible de trouver un être humain sans défaut. Le champ d’investigation de l’avènement du surhomme « le superman » nietzschéen n’est qu’une illusion mythique !
Dans notre cas, souscrire à un devoir de mémoire est indispensable pour fournir aux jeunes les outils nécessaires par l’étude des faits du passé dans l’intérêt de ne pas porter préjudice à notre histoire.
La tunisianité est le fruit des apports fertiles, cumulatifs et conjugués à travers les millénaires, depuis les Berbères aux Phéniciens, aux Carthaginois, aux Romains, aux Vandales, aux Byzantins, aux Arabes, aux Ottomans, aux Européens et aux Français. C’est par cette métamorphose successive et évolutive d’éléments mosaïques multiples et diversifiés en vertu de laquelle a été forgé une identité nationale tunisienne, très souple et très ouverte. D’ailleurs, la signification de Tunis en arabe tenait surtout aux agréables rapports sociaux. C’est la civilité, la sociabilité, la sympathie et la promesse d’une vie meilleure.
L’instauration du protectorat français en Tunisie a été promulguée par la signature du Traité de Bardo le 12 mai 1881. De ce fait, le Bey a passé le pouvoir au Résident Général français qui a exercé la direction des affaires intérieures et extérieures du pays. Le Bey s’est engagé à ne conclure aucun acte international. La signature de la convention de la Marsa le 8 juin 1883 a contribué à asseoir effectivement le protectorat français en Tunisie.
Grâce à la politique du peuplement, le protectorat a facilité l’installation et la pénétration des Européens et surtout des Français en Tunisie. Ils ont accaparé plus d’un million d’hectares des meilleures terres fertiles et des places stratégiques. Ainsi, l’organisation de la production et la circulation de la richesse agricole et industrielle ont été spoliées par la colonisation 75 ans durant.
En effet, Bourguiba, ce leader, militant, patriote, réformateur, d’une grande culture, a pris conscience de la situation alarmante de son pays. Il s’est engagé dans la lutte politique pour l’indépendance, réalisée par étape. Il a été déterminé à jouer un rôle prépondérant dans cette lutte héroïque pour retrouver la liberté et la dignité nationale. Puis, il a réussi à poser les jalons pour le fondement d’un État républicain, moderne et souverain en Tunisie et il lui a assuré une place respectueuse dans le concert des nations. La devise de son action a toujours été : « Vivre pour la Tunisie ! »
De la citation « Vivre pour autrui ! » qui figure sur le socle du buste du père du positivisme, Auguste Comte, place de la Sorbonne, Bourguiba l’emprunta. En effet le maître du positivisme concevait que : « Toute éducation humaine doit préparer chacun à vivre pour autrui, afin de revivre dans autrui ! » Bourguiba voulait bien incarner cette vision philosophique.
Pour brosser le portrait fidèle d’une personnalité politique, emblématique, charismatique, visionnaire, clairvoyante de grande envergure, ayant de bons réflexes pour réagir à temps, afin de mettre les circonstances à profit de la cause tunisienne. Il est intéressant de retenir aussi bien ses qualités que ses défauts dans un but d’assurer un éclairage objectif.
En somme, c’est l’une des grandes figures qui a marqué notre histoire contemporaine. Il représente remarquablement l’élite moderne tunisienne ! Sa naissance officielle a été fixée le 03 août 1903 à Monastir dans la maison familiale au quartier des Tripolitains. Grâce à ses origines, son père était le cheikh des Tripolitains. La famille de Bourguiba est arrivée de Mesrata en Libye par bateau à Monastir vers 1795.
Il était le huitième et dernier enfant de la grappe au sein d’une famille nombreuse qui a pesée si lourdement sur la santé de sa mère. Il en prendra conscience toute sa vie. Combien il était sensible à sa souffrance et aux endurances pénibles ! Ceci le motiva très sérieusement à prendre part à la lutte pour la libération de la Femme en Tunisie. Son engagement indéfectible en faveur de la condition féminine lui vient donc, de la fidélité à la mémoire de sa mère ravie de son affection.
Il a reçu une formation bilingue franco-arabe au collège Sadiki et au Lycée Carnot de Tunis qui deviendra en 1980, Lycée Bourguiba. Son succès au bac philo en juin 1924 avec la Mention Bien, lui permit de s’inscrire en double cursus à Paris, en droit à la Sorbonne et à l’École libre des Sciences Politiques, ancêtre de Sciences Po, rue Saint-Guillaume. Très minutieusement, il profita jusqu’à l’extrême de sa présence à Paris pour élargir les horizons de sa formation ! Il se rendait aux salons littéraires, au théâtre, aux séances de la Chambre des députés et du Sénat. Bourguiba a été fortement fasciné par la Ville des Lumières et surtout par le Quartier Latin où il a fait la connaissance de grandes personnalités.
Ainsi, le jeune étudiant alla à la rencontre de Mathilde Clémence Lorain, employée au ministère des Finances. Malgré son veuvage et son âge, plus avancé que lui de 13 ans, cela ne l’empêche pas de se marier avec elle. Il lui donne un prénom tunisien Moufida dont le sens en arabe est la bénéfique. En effet elle a été vraiment bénéfique, aussi bien pour lui que pour la Tunisie. Le couple engendra le 9 avril 1927 un fils unique Bourguiba Junior.
Trois mois plus tard, Bourguiba obtint avec succès sa licence en droit et décida alors de rentrer avec sa femme et son fils à Tunis. A la suite à un long stage, il s’inscrivit au barreau de Tunis et ouvrit son propre cabinet d’avocat à Bab-Souika le 7 novembre 1930. Le choix de s’implanter dans un quartier populaire est né d’une conviction délibérée d’être beaucoup plus proche de la masse populaire, mais aussi parce que les loyers étaient abordables.
De son cabinet d’avocat à Bab-Souika, Bourguiba donnera le coup d’envoi pour la fondation du parti Néo-Destour. C’est la scission avec le parti du vieux Destour fondé par Cheikh Abdelaziz Thaalbi en 1920. Certes, il a représenté au début une volonté d’émancipation, mais il est devenu une coquille vide, impuissant et ne donnant plus de satisfaction aux militants !
La Tunisie a besoin, alors, d’une synergie nouvelle et une stratégie pragmatique afin de construire un véritable mouvement national pour la libération du joug de la colonisation. C’est à Ksar Hilal que le parti Néo-Destour fut concrétisé, le 2 mars 1934 par Habib Bourguiba, Mahmoud Matéri, Bahri Guiga et Tahar Sfar.
Il adopta une stratégie réaliste pour conduire le peuple tunisien jusqu’à la liberté : « Pendant la majeure partie de sa vie, il a voulu inlassablement faire comprendre à la Tunisie et à la France, qu’il était de leur intérêt commun d’organiser l’émancipation de celle-ci avec le concours de celle-là et de chercher entre elles toutes les chances du dialogue. »
Et depuis, la longue lutte pour l’indépendance n’a jamais connu de relâche. La vie de Bourguiba et de ses compagnons de lutte pour la libération a été jalonnée par plusieurs années d’incarcérations et de pénitences, entre l’exil et les prisons…
Un fait significatif très important réaffirma que Bourguiba a été un visionnaire avéré, capable d’anticiper dans les moments difficiles. En effet, de sa prison (1940-1942) au Fort Saint-Nicolas, Marseille, il écrit une lettre le 8 août 1942 à son adjoint au Néo Destour, Dr. Habib Thameur lui disant :
« (…) La croyance naïve que la défaite de la France est un châtiment de Dieu, que sa domination est finie et que notre indépendance nous viendra d’une victoire de l’Axe considérée comme certaine, est ancrée dans beaucoup d’esprits, et cela se comprend. Eh bien, je dis que c’est une erreur, une erreur grave, impardonnable, qui nous coûtera, si nous la partageons (…) La vérité qui crève les yeux, c’est que l’Allemagne ne gagnera pas la guerre ; qu’elle ne peut plus gagner, que le temps travaille contre elle et qu’elle sera mathématiquement écrasée (…) Ce n’est donc plus qu’une question de temps… »
Bourguiba persiste que la victoire des Alliés est proche. Donc, il faut agir de telle sorte qu’à l’issu de la guerre, le peuple tunisien, et plus particulièrement le Néo Destour se trouve avec les gagnants !
Le discours de Mendès France à Carthage, le 31 juillet 1954 confirme solennellement que la France reconnait le droit à l’autonomie interne de la Tunisie. Cependant, les négociations franco-tunisiennes restèrent au point mort plus de six mois durant.
Bourguiba a été transféré dans une résidence surveillée aux environs de Paris le 17 juillet 1954. Alain Savary, chargé du dossier de la Tunisie remit une convocation d’Edgard Faure à Bourguiba, afin de réfléchir ensemble comment contourner les obstacles épineux. Finalement, ils sont arrivés à consentir un compromis favorable pour aboutir à un accord qui consacre l’autonomie de la Tunisie. Une question pertinente se pose avec acuité : pourquoi Bourguiba a réussi à trouver une solution en une seule séance avec Edgard Faure ?
Tout simplement, parce qu’il a compris que l’autonomie était un passage provisoire mais obligatoire. Il était certain, que tôt ou tard, la Tunisie aurait son indépendance réelle. Il fallait saisir cette opportunité, en acceptant l’autonomie. Ainsi la France ne pourra plus faire marche arrière ! C’était une étape décisive à franchir avec courage, sérénité et détermination pour continuer le combat, jusqu’à la victoire. Il lança le 2 août 1954 un appel en faveur d’un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire tunisien…
Ainsi, Bourguiba rentrait triomphalement à Tunis le 1er juin 1955 à bord du paquebot « ville d’Alger » qui accostait à La Goulette. Comme un héros de la résistance, il fut accueilli par plus de 10 000 personnes. Il déclarait solennellement :
« La Tunisie que nous entendons libérer, ne sera pas une Tunisie pour musulmans, pour juifs ou pour chrétiens, elle sera la Tunisie de tous ceux qui, sans distinction de religion ou de race, voudraient l’agréer pour leur patrie et l’habiter sous la protection de loi égalitaire. »
Le 3 juillet 1955 c’était la signature des conventions de l’autonomie interne à l’Hôtel de Matignon à Paris.
Cependant, Salah Ben Youssef refusa catégoriquement cette autonomie lors d’un discours violent sur le perron de la Mosquée de la Zitouna en présence de Chadli Bey, le fils de Lamine Bey. Il ne faut pas se laisser leurrer par de faux espoirs ! Il faut arracher son indépendance d’un seul coup ou jamais !
Mais le Vème congrès de la résurrection du Néo-Destour à Sfax, le 15 novembre 1955, approuva la convention d’autonomie interne ! Donc Salah Ben Youssef déclare le 13 janvier 1956 : « qu’il entrait en guerre avec Bourguiba qui ne devait plus être le combattant suprême, mais le traître suprême. » Donc, Ben Youssef fut suspendu du parti. Ainsi, grâce à ses partisans Yousséfistes, il sema la terreur dans le pays en commettant des exactions contre les Bourguibistes !
Ben Youssef a vite compris que son rival avait pris de l’avance sur lui et que le pouvoir ne se partageait pas ! Alors, il prit la fuite vers l’exil au Caire via la Libye, le 28 janvier 1956. Mais ce n’est pas pour prendre une retraite, car il va mener la guerre contre Bourguiba à distance, soutenu par la radio du Caire : « La voix arabe » qui déversait chaque jour, des torrents d’injures contre Tunisie…
Trois mois plus tard, le 20 mars 1956, c’était la proclamation de l’indépendance de la Tunisie. Le 15 avril 1956, c’était l’élection d’une Assemblée constituante dont Bourguiba est président.
Le 13 août 1956, c’était la promulgation du code de statut personnel améliorant le statut de la femme tunisienne. Il est par excellence l’élément fondateur de la Tunisie nouvelle, une véritable merveille pour la famille dans le monde arabe et musulman. Il a accordé à la femme les droits indispensables pour participer au développement du pays, grâce à l’abolition de la polygamie, le libre choix du partenaire par la femme, le divorce ouvert aux deux époux et la nécessité de se soumettre au planning familial…
Pour dissuader Ben Youssef à renoncer à la guerre contre son pays, la Haute cour de justice qui dispose de pouvoirs absolus, ses arrêts sont immédiatement exécutoires, condamne par contumace, Salah Ben Youssef à la peine de mort le 24 mai 1957.
Le 25 juillet 1957 Abolition de la monarchie et la Proclamation de la République. Bourguiba est élu président de la République tunisienne par l’Assemblée constituante.
Depuis cette date, l’État s’est attelé à la lutte pour arracher la Tunisie au sous-développement. Pour arriver à cet objectif, il faut relever de nombreux défis. C’est la construction des logements sociaux, des écoles, des collèges, des lycées, des universités, des terrains et des salles de sports, des centres de recherches, des hôpitaux, des maisons de la culture, des routes, des barrages… Bourguiba a intitulé cette étape cruciale par « maarakat al bina wa tachyid », la bataille de la construction et l’édification.
Certes, la priorité de son programme a été destinée à l’enseignement, l’éducation, l’art et la culture dont le budget s’élevait à :
- 18% pour 1958.
- 25% pour 1966.
- 34,5% pour 1971…
Mais pour réussir ce défi, il lui fallut une nouvelle réorganisation administrative afin de réduire l’emprise de l’esprit tribal, l’unification de l’enseignement et l’instauration d’une justice de droit positif ! Ces réformes permirent à Bourguiba la suppression des tribunaux de charia et la confiscation des biens Habous : la mainmorte inaliénable des biens du cultes musulmans ! Un tel projet colossal, n’est pas une mince affaire ! Grace à une ténacité à toutes les épreuves, le sens du possible, la façon de voir les choses, les calculs justes, les vues lointaines, la politique des étapes et la persévérance, Bourguiba a réussi à faire passer ses lois sans fracas. Mais il faut avouer aussi qu’à cette époque il jouissait vraiment d’une très large majorité populaire…
Un fait sociétal très important, attira l’attention de Bourguiba, les enfants de la rue. Il fonda alors, l’Association Nationale des Enfants de Bourguiba qui créa 288 maisons pour héberger, éduquer et instruire 7200 enfants orphelins ou abandonnés. Ils devinrent plus tard, de braves citoyens de la République ! Cette création innovante a permis de limiter le gâchis dans notre société. Une autre réalisation de grande valeur, l’éradication des bidonvilles en Tunisie. Par décret du 16 mars 1957 programmait la démolition des gourbis et la construction des logements malaji qui se voulaient salubres et économiques. La politique de dégourbification avait pour but d’améliorer les conditions des déshérités et le respect de la dignité humaine…
Si la situation socio-économique et culturel est florissante, cependant Bizerte et le Sud tunisien demeurent occupés par l’armée française. C’est source d’inquiétude pour l’État. C’est l’objet de la visite de Bourguiba en France. Le 27 février 1961, le Général de Gaulle recevait Bourguiba à Rambouillet. Lors de cet entretien, il promit à son invité de se retirer de Bizerte dans un délai d’un an :
- « Vous pouvez donc être assuré que nous nous en retirons dans délai de l’ordre d’une année. »
- « J’en prends acte volontiers. » Répond Bourguiba.
- « Dans ces conditions, je n’insiste pas pour la solution immédiate du problème. »
Trois mois plus tard, la France entreprit de gros travaux pour l’aménagement de la Base stratégique de Bizerte, notamment, l’agrandissement de la piste d’atterrissage pour accueillir des avions plus performants ! Une étude prévisionnelle sur le coût des travaux atteindra 1000 millions de francs ! Bourguiba fut gravement choqué ! Ce qui lui causa une grande déception. Il ne comprenait pas, comment la France pouvait investir da la base une telle somme, au moment où De Gaulle avait promis à Rambouillet de quitter les lieux dans un an !
En fait, la France s’incrustait de plus en plus à Bizerte. Elle n’avait pas l’intention de lâcher la base ! Juste un mois après Rambouillet, sous le commandement du capitaine Roger Sarah, des pilotes de la 7ème Escadre de Bizerte se rendaient en mission à Dijon, pour acquérir de nouveaux appareils afin de remplacer les vieux Mirage III C par un Escadron de Mystère IV, beaucoup plus performant en interception. Ainsi, le climat de confiance fut ébranlé ! Le respect mutuel entre les deux chefs d’États a été compromis ! Mais à qui incombe la faute !
Pour calmer le jeu, l’Ambassade de France en Tunisie minimisa la gravité de la situation, pour permettre une solution politique. Cependant, le Vice-Amiral Amman Commandant supérieur de la Base de Bizerte alerta le ministre des Armées, demandant expressément une intervention militaire draconienne et rapide pour remettre Bourguiba à sa place ! Il fallait lui administrer une leçon exemplaire pour le persuader du déséquilibre des rapports de force ! Le Commandant continua à prêcher la discorde pour maintenir la base française de Bizerte, car le départ serait alors synonyme d’une défaite militaire ! Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense, confirmait : « Il faut s’ancrer à Bizerte ! »
En effet, l’importance stratégique de Bizerte était déjà enracinée dans l’histoire. En février 1858, Roustan, le consul de France demandait au Bey de Tunis une concession du port de Bizerte. 29 ans plus tard, Jules Ferry visitait, le 23 avril 1887, le lac de Bizerte, déclarait : « Ce lac, a lui seul, vaut la possession de la Tunisie tout entière. Oui, Messieurs, si j’ai pris la Tunisie, c’est pour Bizerte. »
Sans retard, le vice-Amiral Amman recevait une instruction du Général De Gaulle : « Frappez vite et fort ! » Le bilan fut lourd : « officiellement, 630 morts et 1500 blessés du côté tunisien. » Bourguiba voulait vaincre sans violence, il ne pensait pas du tout que cette guerre aura lieu à Bizerte ! En fait cette guerre n’était qu’un malentendu !
Mais Bourguiba a transformé la défaite militaire en une victoire diplomatique. L’Assemblée Générale de l’ONU a rendu son verdict le 27 août 1961, 66 États sur 99 ont voté en faveur de la Tunisie, et 33 sont abstenus. Finalement, le mardi 15 octobre 1963, la France s’est retirée de Bizerte.
Cependant, cette évacuation n’était pas la dernière bataille, une autre aussi importante s’annonçait imminente, c’était la décolonisation agraire. Au nom de la souveraineté économique et de l’intérêt général, Bourguiba opta pour la signature de la loi tunisienne du 12 mai 1964 portant sur la nationalisation de 716 693 hectares, des terres à vocation agricole. Il choisit une date symbolique, le 83ème anniversaire du Traité du Bardo le 12 mai 1881. Les deux textes furent signés sur la même table. Ce qui signifie probablement : « Nous reprenons ce que vous nous aviez pris, il y a 83 ans. »
C’est seulement à partir de cette date que Bourguiba a poussé un vrai soupir de soulagement. Mais il fallait tourner la page, l’ennemi d’hier devait devenir l’ami de l’avenir. C’est le seuil d’une ère nouvelle qui s’ouvrît sur de bonnes relations tuniso-françaises pour des coopérations techniques, économiques et culturelles. Il disait alors : « On ne bâtit rien avec la haine, la rancune ou l’esprit de vengeance. » Ainsi, il revendiqua, haut et fort, le partage de la langue française comme patrimoine universelle, il disait à cet effet :
« La langue française constitue l’appoint à notre patrimoine culturel, enrichit notre pensée, exprime notre action, contribue à forger notre destin intellectuel et à faire de nous des hommes à part entière (…) Je dois reconnaître que la francophonie représente en Afrique une réalité. Non seulement parce qu’elle met en contact privilégié les pays où le français est langue officielle et ceux où elle est langue de travail, mais parce qu’elle rend les uns et les autres de ces pays participants à un même univers culturel, parce qu’elle rend les uns et les autres plus à même de découvrir, même au-delà de la langue, ce qui les unit. C’est donc une sorte de Commonwealth que je voudrais voir s’établir entre eux, une sorte de communauté qui respecte les souverainetés de chacun et harmonise les efforts de tous, et je souhaite ardemment que ce voyage que j’effectue en ce moment y contribue… »
Dakar le 24 novembre 1965
Périple d’un mois en Afrique.
Le Général De Gaulle disait de Bourguiba :
« J’ai devant moi un lutteur, un politique, un chef d’État, dont l’envergure et l’ambition dépassent la dimension de son pays… Bourguiba a quelque chose de commun avec moi : le courage de prendre des rendez-vous avec l’Histoire. »
J’aurai bien voulu finir sur ces belles paroles, mais vous allez me dire, vous nous avez présenter les avantages, mais où sont les défauts de Bourguiba ? Certes le défaut le plus flagrant qui éclate aux yeux de tous et qui n’est pas niable, c’est de se maintenir au pouvoir quand il a perdu pied et sa santé s’est dégradée sensiblement, en laissant un entourage cupide et mal sain faire la loi. Déjà, en octobre 1961, un article paru dans l’hebdomadaire « Afrique Action » intitulé « Le Pouvoir personnel » met en cause Bourguiba ! Et là, je me tourne vers les Nations-Unies pour appeler solennellement cette instance à promouvoir la démocratie à travers le monde en imposant une convention internationale afin de limiter le droit à la candidature aux élections présidentielles à deux fois comme aux États-Unis. Il me semble que cette idée limitera très substantiellement les abus du pouvoir et favorisera la démocratie participative !
Et je vous remercie pour votre écoute.
ASILEC, Association de Solidarité pour l’Intégration par les Langues, l’Éducation et la culture a été fondé à Sarcelles en 2007. Son objectif est de promouvoir un espace francophone de solidarité, de diversité culturelle, de réflexion, d’échange, de dialogue pour mieux vivre ensemble.
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